Protéger les jeunes

Le tabagisme chez les jeunes en France

 

L’industrie du tabac l’a compris depuis longtemps : « Les adolescents d’aujourd’hui sont les consommateurs réguliers potentiels de demain, et la très grande majorité des fumeurs commence à fumer à l’adolescence. » (Philip Morris, 1981).

Les fumeurs, dans leur très grande majorité, commencent à fumer à l’adolescence et deviennent rapidement dépendants bien avant l’âge adulte.

Le tabagisme est une épidémie industrielle pédiatrique[1][2] : l’âge d’entrée dans le tabagisme intervient à 13 – 14 ans. Lorsque trois enfants expérimentent le tabac, deux sur trois au moins seront consommateurs de tabac une partie de leur vie. La dépendance à la nicotine s’installe très rapidement et ces jeunes deviennent rapidement dépendants aux produits du tabac, y compris avec des consommations faibles et ponctuelles. Chaque année en France, plus de 200 000 jeunes tombent dans le piège de cette drogue au pouvoir addictif majeur.

L’usage quotidien de tabac est plus fréquent parmi les garçons que parmi les filles (26,3% vs 23,8%), il est dans le même temps deux fois plus élevé chez les apprentis (47,3%) que parmi les lycéens (22,0%)[3]. Cet écart important s’explique par une composante sociale, un pouvoir d’achat plus important pour les apprentis qui perçoivent un salaire et une accessibilité facilitée aux produits.

 

La France : une mauvaise élève dans l’Union Européenne

Avec un quart des adolescents français qui sont des fumeurs quotidiens, la France est très touchée par le problème du tabagisme des jeunes.

À 17 ans, près de 60% d’entre eux ont déjà expérimenté un produit du tabac et plus d’un sur quatre est tombé dans la dépendance quotidienne[4]. Par comparaison avec les autres pays européens, la France se situe au-dessus de la moyenne en ce qui concerne la consommation de tabac chez les adolescents scolarisés de 15-16 ans avec une prévalence de 22%, sans différence majeure entre les filles et les garçons[5]. Le tabagisme demeure un marqueur social et ce, dès le plus jeune âge[6].

Ces chiffres sont d’autant plus dramatiques lorsque l’on sait que la moitié de ces jeunes ne parviendra pas à arrêter de fumer et qu’un quart d’entre eux (la moitié de ceux qui resteront fumeurs) mourra de son tabagisme.  Pour parvenir à l’objectif d’une génération sans tabac d’ici 2032 en France, que d’autres pays ont déjà atteint, il importe donc de poursuivre et renforcer la mise en œuvre des mesures pour lesquelles une efficacité a été démontrée en matière de réduction du tabagisme, notamment l’interdiction des produits du tabac aux mineurs.

 

L’interdiction de vente des produits du tabac aux mineurs

Depuis 2003, il est interdit de vendre des produits du tabac aux mineurs de moins de 16 ans[7], une interdiction étendue aux moins de 18 ans en 2009[8]. Les modalités d’application ont encore été renforcées en 2016 afin de faciliter le contrôle systématique de l’âge par le buraliste qui doit exiger une pièce d’identité. Les débitants de tabac doivent demander aux jeunes leur pièce d’identité afin de s’assurer de leur âge. Enfin, une affichette légale obligatoire signalant cette interdiction doit être apposée de façon visible.  Depuis 2014, les pro­duits de vapotage sont également in­terdits à la vente pour les mineurs[9].

 

Une mesure qui reste largement inappliquée 12 ans après son instauration

Malgré cette l’interdiction en vigueur depuis de nombreuses années, la mesure reste largement inappliquée en France car 94% des fumeurs quotidiens âgés de 17 ans déclarent acheter régulièrement leurs cigarettes chez un buraliste. Une enquête menée par l’institut d’enquêtes BVA pour le CNCT[10] en 2019 montrait qu’environ 10% des buralistes acceptent de vendre à des enfants de 12 ans qui étaient tous non-fumeurs et les deux tiers des buralistes vendent aux mineurs à 17 ans (65,2%), qu’il soit fumeur ou non-fumeur. La vente intervient même dans 93% des cas lorsque le jeune est fumeur. En dépit de l’obligation prévue explicitement par la loi d’exiger une pièce d’identité avant la vente, moins de 20% des buralistes ont demandé une pièce d’identité à l’adolescent souhaitant se procurer du tabac.

Or la mesure d’interdiction de vente aux mineurs, qui limite l’accessibilité aux produits et contribue à la dénormalisation de celui-ci, est une mesure efficace. Elle fait partie des stratégies complètes de réduction de la consommation de tabac définies dans la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac. La mesure d’interdiction de vente des produits du tabac aux mineurs est efficace dans une stratégie d’ensemble de lutte contre le tabagisme. Les jeunes qui perçoivent le tabac comme relativement facile à acheter ont plus de risques de devenir des fumeurs réguliers que ceux qui le considèrent comme plus difficile. Le fait d’interdire la vente de tabac aux mineurs fait prendre conscience que c’est un produit dangereux et mortel. La simple promulgation d’une loi, sans application, n’est en revanche pas efficace[11][12].

 

… et donc, pour l’heure, inefficace sur la prévalence du tabagisme chez les jeunes

Pour que l’interdiction de vente de tabac aux moins de 18 ans contribue à faire baisser le tabagisme chez les jeunes, le taux d’application de la loi doit être supérieur à 80%.  De nombreux pays ont des taux d’effectivité supérieurs à 90-95%. Un taux élevé d’effectivité de la mesure implique : une information et une communication sur la mesure, la mise en place d’une vérification systématisée de l’âge du client par le vendeur, l’existence de contrôles répétés et de sanctions.

 

Les recommandations du CNCT concernant la loi de vente de tabac aux mineurs

Face à la mauvaise application de la mesure d’interdiction de vente de produits du tabac aux mineurs, il est essentiel d’alerter et de remobiliser le grand public et les acteurs concernés par la bonne mise en œuvre de cette disposition.

A travers l’exemple de plusieurs pays, il s’avère que différentes mesures permettent d’améliorer l’effectivité de la loi. Il est donc nécessaire de poursuivre l’information et la formation des buralistes mais aussi de mettre en place un contrôle automatisé d’un document d’identité confirmant un âge d’au moins 18 ans indispensable pour l’autorisation de la vente de tabac, d’alcool, de jeux de hasard.

Enfin, sur la base des expériences étrangères réussies, le CNCT demande que soient organisés des contrôles des débits incluant des sanctions réelles et dissuasives en cas d’infraction et la possibilité de fermeture administrative de durée variable en cas de violations avec récidives.

 

Aller plus loin :

Interdiction de vente aux mineurs : des outils pour renforcer son effectivité

L’interdiction de vente de tabac aux mineurs : une mesure largement inappliquée

Fiche d’information : le tabagisme chez les jeunes en France

 


[1] Majnoni d’Intignano B. Les épidémies industrielles, Santé et Economie en Europe, PUF, 2016

[3] Les drogues à 17 ans : analyse de l’enquête ESCAPAD 2017 – Tendances 123 – février 2018 – OFDT.

https://www.ofdt.fr/publications/collections/periodiques/lettre-tendances/les-drogues-17-ans-analyse-de-lenquete-escapad-2017-tendances-123-fevrier-2018/

[4] Ibid

[5] ESPAD Group 2020, ESPAD Report 2019: Results from the European school survey Project on alcohol and other drugs, EMCDDA Joint publications, Publication of the European Union, Luxemburg, https://www.emcdda.europa.eu/system/files/publications/13398/2020.3878_EN_04.pdf

[6] El-Khoury Lesueur F, Bolze C,  Melchior  M.  Les  adolescents face au tabac : émergence précoce des inégalités sociales. L’étude nationale DePICT (2016). Bull Epidémiol Hebd. 2018;(14-15):283-90.

http://invs.santepubliquefrance.fr/ beh/2018/14-15/2018_14-15_3.html

[7] Loi n° 2003-715 du 31 juillet 2003 visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes. www.legifrance.gouv.fr

[8] Code de la santé publique. Article L3512-1-1.

[9] Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.

[10] CNCT, L’interdiction de vente du tabac aux mineurs : un interdit protecteur pour la jeunesse, Octobre 2019

[11] Stead LF, Lancaster T. Interventions for preventing tobacco sales to minors. Cochrane Database Syst Rev 25 janv2005;(1)CD001497

[12] DiFranza JR. Which interventions against the sale of tobacco to minors can be expected tot reduce smoking? Tabale1. Tob Control 2021;21:436-42