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Le tabac fait son cinéma

Le tabac fait son cinéma

Des études scientifiques ont montré que des adolescents âgés de 10 à 14 ans souvent exposés à des films contenant des scènes de consommation de tabac ont 2,6 fois plus de risques de commencer à fumer que des jeunes moins exposés à de tels œuvres cinématographiques.

Une histoire d’amour ancienne

L’industrie du tabac a toujours beaucoup investi dans le cinéma pour la promotion de ses produits et du tabagisme en général

En France, près d’une centaine de publicités Gitane Cinéma étaient ainsi référencées dans les seuls supports de l’Officiel des Spectacles et du Pariscope au cours de l’année 1995 deux ans après l’interdiction de toute publicité en faveur du tabac.

De même, à l’occasion du Festival de Cannes, des campagnes de presse étaient également organisées au début des années 90  avec insertion de pages entières de publicités dans des quotidiens nationaux et des magazines en faveur de « l’Action Cinéma Philip Morris ». Les visuels rappelaient en tout point l’univers publicitaire de la marque de tabac. A cela s’ajoutaient les « Clubs espace Philip Morris » qui s’étaient multipliés après l’entrée en vigueur de la loi et qui poursuivaient cette même finalité promotionnelle.

Jusqu’au milieu des années 2000, l’industrie a continué de financer de nombreuses manifestations internationales dans le domaine du cinéma (Marrakech, San Sebastian, etc.). A titre d’exemple, le Prix Altadis (aujourd’hui Imperial Tobacco ndlr) du Jeune Réalisateur aidait « la promotion de jeunes cinéastes lors de la sortie de leurs films en France ». Altadis parrainait également le Prix « Un certain Regard » au festival de Cannes, appelé autrefois « Un Certain regard – Altadis ».

Le fabricant Japan Tobacco International qui finance de nombreuses actions sur le créneau de la « philantropie »,  organise pour ses actions de lobbying plusieurs fois par an des avant-premières cinéma destinées aux responsables politiques notamment.

L’industrie du tabac est tout sauf une entreprise philanthropique. Si elle est massivement présente depuis des décennies dans le cinéma, c’est qu’elle y trouve un intérêt majeur.

Crédit photo : http://www.smoke-free.ca/

Fumer dans les films incite à fumer

Depuis des dizaines d’années, des travaux scientifiques ont montré l’existence et l’impact du placement de produits dans les films. Le placement de produit se définit comme « une technique publicitaire qui consiste pour une entreprise à placer sa marque ou son produit de manière la plus visible possible dans un film, une émission de télévision, un clip musical, une vidéo Internet ou un jeu » [1].

Le placement produit est le plus efficace lorsque la marque joue un « rôle actif » dans le film, par exemple lorsque le fumeur sort sa cigarette à un moment particulièrement critique du film. Il se fait le plus souvent selon un accord financier, mais, et il peut également s’agir d’une contribution en nature via des marchandises ou biens mis à disposition.

Il est démontré que les placements de produits tabac ont une incidence positive sur la mémorisation, l’attitude par rapport à une marque et par suite sur les intentions d’achat des consommateurs.

Des études ont révélé que des adolescents âgés de 10 à 14 ans, souvent exposés à des films contenant des scènes de consommation de tabac, ont 2,6 fois plus de risques de commencer à fumer que des jeunes moins exposés à de telles œuvres cinématographiques [2]. Les fabricants de cigarettes connaissent ce résultat. C’est pourquoi ils payent des acteurs et les incitent à fumer dans les films.

L’acteur David Harbour fumant dans la série à succès Stranger Things

Par exemple, dans un rapport marketing secret de l’entreprise R.J. Reynolds (fabricant des Camel), on trouve la déclaration suivante : “Il y a des films que nous avons repérés car nous pensons qu’ils favorisent la publicité “subliminale” de notre produit.”(1981).

De même, Philip Morris, en 1989, déclarait : « Nous pensons que la plupart des images fortes et positives autour de la cigarette et de la tabagie sont créées par le cinéma et la télévision ».

La présence du tabac dans les films constitue une forme de communication et de promotion des produits du tabac, notamment auprès des jeunes. 

 

Faire fumer des acteurs stars dans les films : une pratique lucrative et répandue

Quand on analyse les rapports de marketing secrets des fabricants de tabac, on voit également apparaître des titres de films où des marques de cigarettes ont été intégrées à des fins publicitaires et des noms d’acteurs qui ont reçu des sommes conséquentes pour fumer.

C’est le cas du film Superman II, pour lequel une lettre datée de 1979 « confirme l’accord qui a été conclu entre nos 2 compagnies selon lequel nous exposons la marque Marlboro dans le film Superman II. […] contre 20 000 livres… ». (Philip Morris).

De même,  Sylvester Stallone confirme dans une lettre datée du 28 avril 1983 : « Comme ce qui a été convenu, je garantis que j’utiliserai les produits du tabac Brown & Williamson dans au moins 5 films. En échange, je recevrai de Brown & Williamson la somme de 500 000 dollars ». 

L’industrie du tabac a passé plus de 1 500 accords secrets avec les acteurs (Studio magazine, mars 2007).

Le placement de produits du tabac au cinéma : la France n’est pas épargnée

Le placement de marques de tabac est une une forme de publicité cachée qui contourne la loi Evin.

Investir dans un film est une opération très rentable pour l’industrie du tabac, elle lui permet de promouvoir ses produits avant la sortie en salles (bandes-annonces diffusées dans les salles de cinéma mais aussi en TV et sur Internet), de capitaliser sur la période de diffusion du film en salles, puis après, s’assurer une promotion après la diffusion en salles (DVD, rediffusions sur chaînes de télé hertziennes, vidéos à la demande, et à l’international. 

A l’instar du film Camille Redouble de Noémie Lvovsky où apparaît un paquet de Lucky Strike reconnaissable à son logo rouge dans la bande annonce. Par ailleurs, le précédent film de la même réalisatrice, Les sentiments, lui montrait une cinquantaine de fois la même marque (Studio magazine, mars 2007).

 

L’exemple du film Le Grand Partage d’Alexandra Leclère qui fait la promotion du paquet Marlboro.

Voir la bande-annonce

Une étude réalisée sur 200 films à succès sortis en France entre 1982 et 2001 a montré que :

  • dans la moitié de ces films, on trouve une scène où l’on fume ;
  • dans 22 % ces films, on trouve une marque de cigarettes ;
  • dans 79,5 % de ces œuvres, des objets rappelant le tabac (briquets, cendriers, etc.) sont visibles

Une étude menée par la Ligue contre le cancer montrait une banalisation du tabagisme en France, avec des scènes tabagiques présentées comme composantes de l’environnement normal. Par ailleurs, le cinéma français ne respecte pas la loi d’interdiction de fumer dans les lieux publics dans la moitié des citations de tabagisme dans un lieu clos.

 

 

 

Dans Un monde sans femmes de Guillaume Brac (réalisé en 2011), Patricia, un des personnages du film entre dans un bar, salue les personnes présentes dans le bar (dont 2 hommes, dont un en train de fumer), s’installe au comptoir, commande sa boisson, jette un coup d’œil à l’arrière du bar, puis demande :

« On peut fumer ? », demande Patricia
« Bien sûr », répond la dame au comptoir. « Ici, il y a pas de problèmes. »
« Vous avez du feu ? », lui demande alors la jeune femme.
 
 
 
 
 

Le cinéma français vend du temps de cerveau disponible à l’industrie du tabac

Olivier Bouthillier est le PDG de l’agence Marques et Films, agence de placements de produits. Il a notamment travaillé pour le film Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. Interrogé par les équipes de Culture Pub pour savoir s’il y avait un accord entre le fabricant de tabac et l’agence, celui-ci a affirmé : « Non absolument, aucun accord ».

 

Pour voir « La pub pour le tabac au cinéma » de Culture Pub
 

Pourtant, dans une enquête d’investigation réalisée par Paul Moreira, relayée sur le site des Inrocks et intitulée « Le cinéma français vend du temps de cerveau disponible à l’industrie du tabac », on y apprend que le film a bien été financé par Altadis (aujourd’hui Imperial Tobacco) pour l’apparition de la marque Gauloises.

Extraits :

« Alors que Mathieu Kassovitz fouine sous un photomaton, un sac bleu avec un casque ailé est posé à ses côtés, bien en évidence. Dans sa course effrénée après Amélie, Kassovitz trimbale cette réclame qui ne figurait pas dans le story board initial. Ensuite, on retrouve les Gauloises chez un buraliste, dans un bar sur un cendrier… Bref, du sponsoring en règle. Encore une fois, un technicien de plateau confirme. Interrogé, le réalisateur et co-scénariste Jean-Pierre Jeunet semble le découvrir.

(…) Paul Moreira ajoute que Jeunet lui a “juste renvoyé un mot confirmant qu’il y avait effectivement eu placement Gauloises blondes. Jeunet m’a dit : “je rêve”.”

“Il était emmerdé parce qu’il est assez anti-tabac lui, estime Moreira. Encore placer du Pierrot Gourmand dans du Amélie Poulain, je trouve ça légitime. Ca correspond à l’ambiance du film. Dès que tu mets des saloperies comme du fast-food ou du tabac, je trouve ça dégueulasse.” »

D’autres films sont cités dans l’article comme Quartier VIP, film réunissant Johnny Hallyday, Pascal Légitimus, Valéria Bruni-Tedeschi et François Berléand. Extraits.

« Dans le film Quartier V.I.P., sorti en 2005, Johnny Hallyday incarne un maton. Dans une scène anodine, il débarque dans un bureau de tabac.

– “Bonjour, dit poliment Johnny.
– Bonjour, Gauloises blondes comme d’hab ?”, lui rétorque la buraliste.

Un membre de l’équipe de tournage le confie aux enquêteurs : “Ca c’était du placement de produit, car le film, ils avaient eu du mal à le financer. C’est la prod’ qui a embauché une société pour rechercher des contrats pub’ avec des marques.” Une employée de cette société de démarchage confirme, c’est bien la Seita (Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes, ancienne entreprise d’Etat appartenant désormais à Altadis, filiale du groupe Imperial Tobacco, ndlr) qui a payé. Le scénario s’en est trouvé modifié pour avoir “des scènes susceptibles de convenir au fabricant“, ajoute la publicitaire. » [4]

Extrait du documentaire « Nos gosses sous intox » de CanalPlus
 
 

 

Pourtant, il est tout à fait possible de mettre un terme à ces pratiques qui s’apparent bien à une forme de manipulation.

Dans le cinéma américain, un recul du tabagisme a été noté depuis une dizaine d’années, suite à une politique des studios visant à réduire le tabagisme dans leurs productions [5]. Les studios Disney, Pixar, Marvel et Lucas ont annoncé, en mars 2015, mettre fin au tabac dans tous leurs prochains films [6]. 

 
 
 
 
 

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